La lutte contre le terrorisme : un frein à la libre circulation ?
Depuis le 13 mars 2016, la Côte d’Ivoire est venue allonger la liste des pays directement touchés par le terrorisme. Une menace qui oblige le pays à prendre de nouvelles dispositions sécuritaires dont certaines ne manqueront pas de susciter le débat.
La Côte d’Ivoire est un Etat membre de la CEDEAO, une communauté qui s’est donnée pour mission de faire tomber les frontières héritées de la colonisation afin d’aboutir à une CEDEAO des peuples. Pour éteindre cet objectif, la CEDEAO s’est dotée de plusieurs textes (protocoles) dont l’un des plus importants est celui relatif à la libre circulation des personnes et des biens. Les 15 Etats membres de la communauté ont décidé à l’unanimité de ne plus imposer un visa d’entrée à leurs ressortissants. Une première qui va inspirer d’autres communautés économiques sur le continent si bien que l’on dira que la CEDEAO fut le premier espace Schengen africain ! Grâce à un passeport ou une carte d’identité biométrique, le citoyen de l’espace CEDEAO peut (en théorie) se déplacer dans les 15 Etats sans être dérangé.
Cependant, ce principe de libre circulation est à l’épreuve de la lutte contre le terrorisme. En effet, c’est le pays qui accueille le plus grand nombre de migrants sur son sol qui a décidé de durcir le ton sur la question des contrôles d’identité. Lors de sa conférence de presse du 22 mars, le ministre ivoirien de l’intérieur et de la sécurité Hamed Bakayoko a clairement indiqué que la Côte d’Ivoire a décidé « de renforcer les contrôles à ses frontières ». Toute personne qui ne possède pas un passeport ou une carte d’identité biométrique « fiable » ne pourra plus fouler le sol ivoirien. La Côte d’Ivoire entend inscrire cette démarche au compteur des mesures visant à lutter efficacement contre le terrorisme. Car selon elle, la facilité de passage aux frontières peut déboucher sur des entrées d’individus aux mauvaises intentions.
Quand le racket favorise tout…et n’importe quoi !
Dans la forme, la démarche de la Côte d’Ivoire est à saluer puisse qu’elle contribuer à maintenir une certaine vigilance sécuritaire aux frontières. Dans le fond, c’est l’application d’une telle mesure qui risque de poser problème. En effet, le protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens est en réalité violé chaque jour par les agents des forces de l’ordre. Ces derniers sont bien plus préoccupés par l’argent qu’ils se font grâce au racket qu’au contrôle effectif de l’identité des personnes qui entrent et sortent du pays. Si l’aéroport échappe « au racket direct des passagers », il est important d’indiquer que les frontières terrestres sont le lieu d’abus indescriptibles des forces de l’ordre. Avec ou sans passeport ou carte d’identité biométrique, passer en territoire ivoirien vous coûtera officieusement entre 2000 et 10.000 f CFA (entre 4 et 20 $ US). Une fois cette somme versée, soyez sûr que votre identité ou le motif de votre séjour en Côte d’Ivoire deviennent secondaire pour la police. Faites le même geste à la douane et vos bagages passeront comme lettre à la poste !
Ce petit racket que certains qualifieront d’anodin est capable d’être la porte d’entrée de tout type d’individu y compris des terroristes le matériel dangereux qu’ils transportent. Pire, les situations de crise ou d’urgence sécuritaire sont des moments qui occasionnent des violations des droits de l’homme. Propos injurieux, violences physiques, actes de xénophobie et assimilation de l’étranger au terroriste peuvent être constatés lors des contrôles d’identité. Le plus important n’est pas donc d’annoncer un renforcement des contrôles aux frontières mais plutôt de veiller à ce que les policiers fassent effectivement leur travail. En ces temps où la moindre faille dans le dispositif sécuritaire national se paye cash, les unités dédiées à la surveillance du territoire doivent être sous un régime de tolérance zéro. Il ne s’agit pas pour ces unités de brimer, de rabrouer ou de renvoyer les migrants au prétexte d’une opération de lutte contre le terrorisme. Il faut avant tout penser à la pleine application des consignes de contrôle d’identité sans que cela ne débouche sur une violation du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens.
Bon à savoir
La Côte d’Ivoire est un Etat membre de la CEDEAO et à ce titre, les ressortissants des 14 autres Etats de l’organisation sont libres d’entrer sur le territoire ivoirien sans visa. Cependant, le seul document autorisé à un point d’entrée frontaliers est le passeport biométrique CEDEAO. Sans ce document, les autorités policières ont le droit de ne pas laisser passer un individu. Pour les ressortissants des pays membres de l’espace UEMOA, la carte d’identité biométrique suffit à passer la frontière ivoirienne. Cependant, si vous voyagez en traversant un pays non-membre de l’UEMOA, veillez à avoir un passeport biométrique au risque de verser de l’argent à chaque point de contrôle. En effet, la carte nationale d’identité n’est pas reconnue par certains pays (notamment anglophones) comme un document de voyage. Les cartes consulaires, les cartes d’étudiants, les cartes professionnelles ou tout d’autre document du même genre ne vous autorisent pas à entrer sur le territoire ivoirien. D’ailleurs dans le cadre du dispositif anti-terroriste ivoirien, ces documents ne seront plus acceptés aux différents points de contrôle frontaliers.
SUY Kahofi
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