Liberté de la presse ou presse liberticide ?
Le samedi 04 mai les professionnels des médias Ivoiriens ont célébré la journée mondiale de la liberté de la presse. Un moment qu’ils ont mis à profit pour réfléchir sur cette notion clé de leur métier et qui garanti la liberté même des médias quelque soit le lieu où ils se trouvent. Ce moment nous donne aussi l’occasion de réfléchir sur le rôle qu’a été celui des hommes et femmes de média dans la gestion de l’actualité socio-politique de ces 10 dernières années en Côte d’Ivoire. Nous parlerons particulièrement de la prolifération des idéaux politiques durant la crise post-électorale.
La presse ivoirienne fortement partisane
Pour l’Ivoirien de tous les jours, la presse ivoirienne endosse une part de responsabilité importante dans la montée des tensions en Côte d’Ivoire. Cela s’explique par la nature même des écrits depuis le début de la guerre de 2002. « Très sincèrement je dois dire qu’il n’y avait plus de journaux en Côte d’Ivoire. Juste des feuilles de choux proches de Laurent Gbagbo ou d’autres ouvertement pro-rébellion » se souvient très amer N’guessan Prosper, un enseignant qui estime que les journalistes se sont taillés une réputation de fauteurs de troubles depuis 10 ans. La conscience professionnelle a vite fait la place à la conscience politique ou ethnique. Il fallait penser d’abord au parti politique avant de réfléchir comme un journaliste. L’objectivité, la neutralité, l’impartialité et la gestion équilibré de l’information n’avait plus droit de citer. Les journalistes étaient devenus des pyromanes qui au lieu d’éteindre le feu des haines tribales et politiques, ne faisaient que l’attiser.
« Nous avons un réel problème dans ce pays. Je peux sans risque de me tromper dire que 80% des journalistes Ivoiriens sont partisans. Il y a toujours cette opposition bleu/vert et cela s’est matérialisée lors de la crise par des analyses très politisées. Chacun disait ce qu’il voulait pour soutenir d’un côté le camp qui voulait rester au pouvoir et de l’autre ceux qui voulaient leur départ » nous explique Thierry Ange Val journaliste.
Inévitablement cette guerre des journaux aura très vite un impact sur les populations.
Une haine exacerbée par la presse
Les écrits politiquement enflammés des journalistes ont fini par devenir très vite le parchemin de l’analyse politique dans les agoras et les grin* d’Abidjan. Ce que les quotidiens Le Mandat, Le Nouveau Réveil, Le Patriote, Le Démocrate…disaient était parole d’évangile pour les militants du RHDP. Le contraire de ces analyses qui paraissait dans les quotidiens Notre Voie, Le Nouveau Courrier, Le Temps ou LG Infos était le contenu de « la bible ». Voici pourquoi le doyen Koné Ibrahim (ancien directeur de la radio Côte d’Ivoire) affirme avec force que le métier de journaliste est tombé bien bas !
« L’écriture est mauvaise, confuse ! Le journaliste lui-même ne sait pas ce qu’il veut véhiculer parce que préoccupé par la volonté de plaire à un groupe d’individus pour ne pas dire un groupe politique. Le journaliste doit redevenir le porte-voix du grand nombre, il doit revenir au fondamentaux de son métier et éviter la politique » martèle le septuagénaire.
Au nom de la liberté d’expression, une inconscience professionnelle s’est installée dans le milieu du journalisme. Les injures (même en dessous de la ceinture), les propos diffamatoires, les enquêtes et écrits politiquement orientés sont devenus monnaies courantes en Côte d’Ivoire ces 10 dernières années. A cela s’ajoute cette ligne de démarcation quasi inexistante entre le politique et le journaliste.
« Nous avons tous entendu des journalistes dire qu’ils étaient 90% politique ne gardant que 10% pour l’exercice de leur métier. Comment un journaliste qui raisonne ainsi peut s’émouvoir des meurtres qui sont commis par sa faute ? » s’interroge Bony Arsène jeune cadre vivant à Yopougon.
Que fait le politicien lorsque le journaliste exerce ça profession à sa place ? RIEN, oui rien car les journalistes en 10 ans sont devenus les vrais politiciens ivoiriens. Pourquoi les journalistes ivoiriens ont-ils changer à ce point ? Pourquoi ceux qui étaient la fierté du peuple au lendemain du printemps de la presse sont aujourd’hui vomis par le peuple ? Chantal Kouassi une étudiante pense bien que l’amour de l’argent, les cadeaux des politiciens et la précarité dans laquelle évoluent les journalistes explique largement ce manque de conscience professionnelle. Qu’à cela ne tienne ! Pour Mr Kouman professeur d’anglais de spécialité à l’ISTC (Institut des Sciences et Technologie de la Communication), le journalisme est plus qu’un sacerdoce et ceux qui l’exercent, doivent le faire par amour, doivent le faire pour servir le peuple et non le contraire.
« La meilleure manière pour les journalistes ivoiriens de revenir aux fondamentaux de leur métier c’est réellement de donner un sens aux règles de déontologie qui régissent leur profession. C’est seulement a ce prix qu’ils arriveront à servir les populations et non les politiques » nous explique Mr Kouman.
La presse Ivoirienne saura-t-elle se remettre en cause et reconnaître son implication dans la crise post-électorale ? Pourra-t-on revoir dans ce pays des journalistes guéris de la gangrène politique ? Chaque écrit lu au quotidien dans la presse ivoirienne nous rapprochera ou nous éloignera du changement de comportement et de mentalité.
grin*: espace de consommation de thé et d’échange sur l’actualité socio-politique
SUY Kahofi
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