Armée Ivoirienne : un malaise né du recrutement et du DDR
Pour être un peu plus informé sur la situation sécuritaire qui prévaut en Côte d’Ivoire en ce moment je me suis rendu dans les communes d’Abobo, d’Adjamé et d’Attécoubé (Abidjan nord), des communes où durant la crise j’avais des informateurs. Il faut dire que j’ai gardé de bons contacts avec ces hommes qui hier me parlaient exclusivement au téléphone. Certains, des ex-combattants, sont restés dans l’armée (si on peut appeler ça comme ça !), d’autres n’ayant pu rester en uniformes sont retournés à leurs premiers amours ! Mécanos, apprentis gbaka, boutiquiers…chacun est retourné à son business. Ceux que l’armée n’a pas gardé sont marqués par la colère, ceux qui ont été retenus sont tout aussi en colère. La raison de la grogne est toute simple : « le recrutement de la nouvelle armée d’Alassane Ouattara s’est fait sur la base ethnique et sur la reconnaissance aux combattants les moins méritants » soutient celui que je décide d’appelé Freddy. L’armée Ivoirienne actuelle n’est composée selon lui que des éléments de la garde prétorienne des ex-Com Zone et de quelques combattants chanceux. Chanceux parce qu’étant des proches de haut-gradés des FAFN (forces armées des forces nouvelles). « Le Vieux (Soro Guillaume) a gonflé les chiffres sur ses combattants pour troubler le sommeil de Gbagbo » nous lance moqueur Freddy avant de conclure que « Soro a fait sa guerre avec moins de 5000 hommes ( !?!) ». Difficile de dire si le jeune homme dit vrai mais une chose est sûre c’est qu’il sait au moins comment de nombreux combattants ont été écarté des rangs des FRCI depuis la fin des combats d’Abidjan.
Des parvenus en uniforme !
« Parmi les éléments des FRCI il y a trois catégories de personnes » m’explique celui que j’ai connu il y a quelque temps sous le nom de caporal Diarra. Il y a les ‘’an sègèla’’ (terme malinké signifiant ‘’les fatigués’’, les anciens). Ils combattent le régime de la refondation depuis 2002. Suivent les hommes baptisés ‘’les ralliés’’ ! Certains viennent des unités combattantes d’Abobo qui se battaient depuis la fin des élections contre les FDS et les autres sont des débarqués pro-gbagbo, chassés de l’armée à cause de leurs noms trop Dioula ! De tous ces hommes, mis a part les ‘’an sègèla’’, rares sont ceux qui sont restés militaires. « Ceux qui sont actuellement considérés comme des FRCI sont en fait les cousins, les amis et les frères des certains haut-gradés de l’actuelle armée. Ils sont des parvenus : des hommes qui savent à peine se servir d’une arme qui ont été mis en uniforme à notre place » s’indigne Ben. Il suffisait donc d’avoir un frère, un cousin ou un ami quelque part dans la hiérarchie militaire pour que sans jamais avoir eu une kalachnikov entre les mains vous deveniez Petit Sergent ! Sous fond de leurs exploits contre les troupes pro-gbagbo Ben me confie que si au moindre accrochage ces soi-disant soldats se faisaient canarder aussi facilement c’est parce qu’ils ne sont ni formés, ni aptes à se battre pour sauver leur propre peau à plus forte raison sauver celle des autres. « Ils n’ont jamais été des militaires et les attaques sont aujourd’hui le résultat de l’arbitraire qui a prévalue leur de la refonte de l’armée » conclu Ben. « Il y a peu de chose que les haut-gradés de l’armée acceptent de dire au Président de la République » pense T.J. Le plus jeune combattant d’une unité d’Abobo est aujourd’hui sur le carreau. Il fulmine à l’idée de savoir que leur combat contre Gbagbo est aujourd’hui mis à l’actif « de personne qui étaient terrées chez elles quand les obus pleuvaient sur la commune martyre ». TJ prétend avoir des contacts parmi ses camarades restés dans l’armée. Il confirme que certains attaquent des domiciles ou braquent des commerçants pour se faire de l’argent. « Demande à tous ces vieux qui nous ont donné les gris-gris durant la guerre. Ils nous ont interdit le vol ! Tous ceux qui volaient même une aiguille mourraient au combat. Or certains soldats aujourd’hui sont chassés de l’armée pour vol » s’indigne le jeune homme. Ce que la majorité des Ivoiriens ignorent, c’est que les oubliés du recrutement de la nouvelle armée sont encore sollicités par leurs anciens chefs ! « Tu sais ils n’ont pas honte ! Quand ‘’ça’’ chauffe, ceux que vous voyez en uniforme à la télé savent où nous trouver. On nous a retiré nos armes, chassés de l’armée comme des malpropres…et aujourd’hui avec les morts c’est nous qu’on vient chercher encore ? » se demande étonné Sékou. Il me balance le nom de deux Com zones sous le contrôle de TJ qui confirme que les deux hommes étaient bien à Abobo au lendemain des attaques d’Akouédo. Objectif tenté de convaincre les ‘’oubliés’’ de rejoindre la ‘’cause’’ ! « Lorsque tu es passé au mois de mars je t’ai dis qu’il viendront nous chercher un jour ! Moi je ne me sens plus concerné par quoi que ce soit » me dit tout sec Sékou avant de conclure en ces termes « que ceux qu’ils payent aillent justifier leurs salaires ».
Des vendeuses aux opérations de DDR !
Deux des hommes qui me servaient d’informateur durant la crise sont de vrais soldats. Ils étaient à une certaine époque membres de la très respectable garde républicaine. Aujourd’hui ‘’affecté’’ dans une insignifiante unité ils regrettent la manière dont le DDR a été conduit. L’ancien caporal me confie que le DDR a été mal conduit à la base. « Le jour où les postes de recensement ont été ouverts, des vendeuses du marché sont venues se faire enrôler ! Des jeunes filles, des petits garçons, même des vieillards tordus par le rhumatisme étaient là. Aucun sérieux ! Du pur gâchis depuis le premier jour. Quelle armée voulez-vous avoir au bout ? » s’interroge notre interlocuteur. Les hommes retenus par les haut-gradés de l’armée étaient déjà connus. Leurs noms figuraient déjà sur des listes qui ont été transmis à l’Etat Major. Les hommes de métier, formé à coup de million par l’Etat Ivoirien se retrouvent à être les subalternes d’homme qui savent à peine lire et écrire. « Par peur que le canon des fusils entre nos mains ne se retournent contre eux, ils ont préféré nous laisser sans arme ! Nous sommes militaires mais sans arme ! » soutien le caporal. Cette même politique des hommes sans armes est aussi menée envers ceux qu’on continue d’appeler ‘’les hommes de Gbagbo’’. Des militaires qui ne se sont pas ralliés à temps ! Quant au traitement salarial il est aussi incertain que la condition de militaire elle-même. Doukouré, un autre soldat qui s’est illustré pour son aptitude à dérober des minutions aux troupes pro-gbagbo, me dit avec amertume qu’il tente de vivre au jour le jour avec ce qu’on accepte de lui donner. « Il y a des fins de mois où quand je passe ma carte magnétique j’ai la moitié de mon blé ! Certains mois je n’ai rien mais vers qui me tourner quand je connais ma position ? ». Les deux hommes me confient que les frustrations au sein de l’armée sont grandes. Pour eux il va falloir du temps et une véritable volonté du Chef de l’Etat pour créer une vraie armée. « L’armée est politisée ! Les militaires se boudent, ils se regardent comme des ennemis parce que certains trouvent que les autres n’ont pas leur place dans la nouvelle armée. C’est une équation difficile mais pas impossible à résoudre » affirme confiant Doukouré qui estime que l’armée est à l’image du pays. Un pays divisé pour une armée encore morcelées en clans ethniques et politiques.
SUY Kahofi
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