« La démocratie s’impose aussi par le canon »
Ce mardi matin (ndlr hier 11 janvier), un contact à Abobo PK 18 me signale un ballet de cargos et de pick-ups de la BAE (Brigade Anti-émeute) et de la Garde Républicaine. Alors que je me rendais sur les lieux, le quartier était bouclé : la raison de cette présence policière serait une chasse aux rebelles. Inutile de revenir sur le bilan humain de l’opération car tout le monde le connait ! Ma journée d’hier ne fut pas aussi vide bien au contraire j’ai eu la chance de tomber sur un témoin de ce que peut-être la force légitime de la CEDEAO. Pour lui, si la Côte d’ivoire ou plutôt Laurent Gbagbo et ses partisans s’entêtent à garder le pouvoir « l’ECOMOG aura toutes les cartes en main pour sévir ».
Sam Newator voici le nom que me donne le jeune libérien d’environ 36 ans. L’homme regardait d’un œil assez distrait le siège du HCR par ses compatriotes. Après quelques politesses et une rassurante cigarette l’homme se propose de me raconter sa guerre à lui autour d’une bière. Difficile de dire si mon interlocuteur n’a pas monté un scénario hollywoodien mais une chose est sûre c’est qu’il me parlait avec beaucoup d’assurance. « J’ai été une jeune recrue de prince Johnson puis envoyé en Sierra Léone j’ai déserté et je me suis retrouvé à combattre aux côtés de Fodey Kalet, un jeune chef rebelle aux pratiques d’ivrogne qui vivait plus de rapts et de vols commis dans les autres camps rebelles » affirme le jeune homme. Il me dira que la guerre il l’a vécue et que c’est bien l’une des dernières choses qu’il puisse souhaiter à un peuple. « Quand les Ivoiriens me disent qu’ils ont vécu la guerre je me moque d’eux car la guerre ce n’est pas quelques jours d’accrochage entre forces loyalistes et rebelles. La guerre c’est le chaos et un chaos total ! Le chaos est tel que les hommes politiques n’ont même pas le temps de s’asseoir autour d’une table de négociation ! » déclare Sam. « J’apprécie la Côte d’Ivoire parce que les gens se parlent mais avec la crise post-électorale et ces meurtres en série les choses risquent de se gâter ! L’action des médias ne favorise pas aussi l’instauration d’un climat apaisé et cela m’inquiète. La Côte d’Ivoire s’enlise dans une crise et au fur et à mesure que les négociations échouent, le potentiel usage de la force devient une réalité ».
A ce moment de son récit Sam prend un ton plus sérieux, plus grave en prononçant le mot ECOMOG ! « J’ai eu la triste opportunité de les voir sur deux théâtres d’intervention et si les rebelles les appellent ECOWAS Bad Dog c’est parce qu’ils savent que ces militaires ne sont pas des enfants de cœur ! Ils ont les moyens et surtout l’audace de faire plier les chefs de guerre même les plus téméraires ! Ils ont bouté Taylor hors du Libéria et imposé des élections en Sierra Léone en rasant pratiquement Freetown. Que la Côte d’Ivoire ne pousse pas la CEDEAO à faire venir ces militaires ici sinon ce peuple va le regretter toute sa vie ! » souligne inquiet le jeune homme. Pour lui l’armée de Laurent Gbagbo quelque soit les armes qu’elle aura ne pourra pas tenir face à des hommes rompus à l’art du combat depuis des années surtout quand ceux-ci ont fait disparaître de l’histoire des conflits ouest-africians des groupes rebelles entiers. Il nous dira que tous ces pays qui font semblant de soutenir Gbagbo ou d’être neutres seront les premiers à faire venir des troupes lorsque les USA et la France ouvriront le tiroir pour financer l’opération militaire.
« Les occidentaux, je veux parler de la ‘’grande communauté Internationale’’ ont les moyens d’imposer la démocratie en Afrique par tous les moyens y compris par les MIRAGES et les F16. Un embargo serait invivable pour ce pays et c’est parce que certains Ivoiriens ignorent les retombées d’un embargo qu’ils prétendent pouvoir tenir. Je prie que la CEDEAO n’intervienne pas ici car je suis fatigué de marcher d’un pays à l’autre » déclare Sam en riant. Son vœu s’est que la classe politique puisse trouver une solution négociée et pacifique à la crise car le ton belliqueux des autorités fidèles à Laurent Gbagbo face à la CEDEAO joue à leur désavantage.
Suy Kahofi
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