Du « Baygon » contre les « microbes »
Comme les enfants soldats du Liberia ou de la Sierra Leone, les populations d’Abidjan découvrent le visage hideux de la criminalité juvénile précisément celle des mineurs. Il s’agit d’enfants de 9 à 17 ans rompus à l’art du maniement des armes blanches que l’on appelle sur les bords de la lagune Ebrié les « microbes ».
Les « microbes » sont devenus en l’espace d’un an un véritable problème de société, pire un fléau urbain avec des victimes qui se compte par dizaines. La violence de leur mode opératoire laisse encore effrayés tous ceux qui ont eu le malheur de les croiser. Et chacun d’entre eux a une histoire pathétique à raconter. C’est le cas de Yacou Sangaré résident du quartier Marley à Abobo. Ce père de famille est un miraculé ! En effet il porte encore sur lui les stigmates de son agression.
« 7 microbes m’ont attaqué au niveau de la boulangerie de Sanmanké (Abobo). Le premier m’a assommé avec une barre de fer, le second m’a pratiquement arraché le bras avec un coup de machette et le dernier m’a poignardé dans le ventre » nous explique Yacou Sangaré.
C’est seulement après cette attaque à l’arme blanche que les « microbes » vont le soulager de sa bourse avant de le laisser près de sa moto en croyant qu’il allait se vider de son sang ! Le phénomène des « microbes » naît dans le quartier d’Abobo (Abidjan-nord), ancien bataillon des groupes d’autodéfense contre l’armée régulière lors de la meurtrière crise post-électorale que la Côte d’Ivoire a vécue. Tel un mythe, le bruit des enfants tueurs se fait de plus fort et envahit la capitale économique ivoirienne. Personne ne prend l’affaire au sérieux, mais les premiers vols à main armée et les premiers crimes alertent l’opinion. Pas moins de 9 gangs de « microbes » sont identifiés dont les tristement célèbres gangs de Marley, Boribana et Warriors. Selon le sociologue et assistant social Daniel Tra Diby, le phénomène loin de s’estomper, prend plutôt de l’ampleur. Les jeunes « microbes » ont infesté les quartiers d’Adjamé et d’Attecoubé. Le mode opératoire de ces enfants tueurs reste le même.
« Ils vous encerclent selon une technique propre aux mendiants, font semblant souvent de quémander une piécette et au moment où on s’y attend le moins on se retrouve avec des gamins armés de machettes », nous explique Daniel Tra Diby.
Un profil très varié
Ils sont présents dans la cité, mais il n’est pas aisé de les retrouver, pourtant nous les voyons sans jamais les soupçonner. Du sage écolier à l’apprenti mécanicien en passant par le turbulent collégien, le profil des « microbes » est très varié. Celui qui se présente à nous sous le prénom d’Ibrahim s’appelle Jackys dans son gang. Il est ferrailleur la journée et « microbe » une fois la nuit tombée. Il justifie son choix par la pauvreté dans laquelle il vit avec sa famille.
« Tu sors chaque matin, on dit que tu travailles mais tu n’as jamais rien sur toi…tu es obligé la nuit d’agresser les passants pour ramener de l’argent à la maison. Oui, c’est vrai, je suis « microbe » mais mes parents ne le savent pas nous explique le jeune homme âgé de 17 ans. »
Les parents d’Ibrahim dans la totale ignorance pensent donc que leur fils revient chaque jour à la maison avec l’argent du garage. Que nenni ! Ibrahim aide sa famille avec l’argent du crime.
Quel que soit le motif avancé par les microbes » pour justifier leurs actes, la police face aux nombreux meurtres et plaintes des victimes a décidé d’agir pour mettre fin à ce phénomène d’insécurité. L’opération « Baygon » est lancée : la sensibilisation a fait désormais place à la répression. Quelques faits illustrent cette volonté de mettre un terme au règne des « microbes ». Le 23 juillet 2014 à Boribana (Attécoubé) on compte deux jeunes tués et trois mis aux arrêts. Le 25 juillet à Abrass (Adjamé) cinq tués et dix autres mis à l’ombre. Le 4 août dans le quartier Voyou, 220 logements (ancien siège d’Edipress) trois délinquants sont mis hors d’état de nuire… Là où la police n’est pas arrivée à temps, les populations se sont occupées de leur propre sécurité. Résultat : vingt adolescents lynchés à Abobo confirme le commissaire Timité Vassindou.
La pression sur les « microbes » est maintenue avec la création d’une unité baptisée brigade spéciale anti-microbes. Au moment où nous mettons en ligne ce post, 122 délinquants qui ne sont pas tombés sous les balles de la police ont été conduits au cachot. En dépit de ces chiffres qui indiquent que la terreur a changé de camp, les jeunes « microbes » ne semblent pas avoir dit leur dernier mot, en témoigne le meurtre d’un chef boulanger et d’un enseignant du supérieur à Abobo.
SUY Kahofi
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