Il n’y a pas de honte à apprendre et les femmes le savent

5 mars 2012

Il n’y a pas de honte à apprendre et les femmes le savent

 

Les femmes sont les plus nombreuses dans les centres d’alphabétisation

Il m’a été donné de constater que la plupart des auditeurs des centres d’alphabétisation de la capitale Ivoirienne étaient des femmes. La moyennes d’âge de ces apprenantes était pratiquement de 25 à 30 ans avec par endroit des femmes qui avaient déjà passé la quarantaine ! C’est avec une certaine passion et du respect que je les admirais répéter avec joie des syllabes les unes après les autres comme au cours élémentaire première année. Leur courage m’a permis de me poser une question : contrairement aux hommes pourquoi ont-elles décidé de revenir sur les bancs pour apprendre ? Quel sentiment peut bien pousser une femme malgré son âge avancé à accepter de renouer avec la lecture et l’écriture comme une gamine ? J’ai compris à la fin de mon périple que les femmes ont résolument donné un sens à l’expression il n’y a pas d’âge pour apprendre !

Sortir de l’obscurité à tout prix !

L’ambiance est plutôt bonne enfant dans ce centre d’alphabétisation de la coordination de Yopougon I (Abidjan). Dans cette salle de classe d’un autre style la plus jeune apprenante à 17 ans et la plus âgées en a 67 ! C’est vers cette dernière que nous nous tournons en premier : elle est commerçante et mère de huit enfants. Malgré ses charges professionnelles et ménagères elle trouve le temps chaque soir de venir apprendre à lire et écrire. « J’étais très dépendant des autres pour tout ce qui nécessitait la lecture ou l’écriture. Pour remplir un document administratif il fallait que je paye quelqu’un : 100 ou 200 f CFA. C’était difficile parce que vous n’avez plus aucun secret. Aujourd’hui je sais lire, écrire mon nom, remplir certains documents administratifs…Je ne le fais pas encore comme ceux qui ont eu la chance d’aller très jeune à l’école mais je me débrouille assez bien » nous dit Kouassi Claudine tout sourire. La mère de famille pour joindre l’acte à la parole se propose de nous faire une lecture. La voix de la femme âgée se métamorphose comme celle d’une petite en classe de CP. Le rythme de la lecture est lent et Kouassi Claudine suis du doigt chaque mot de son livre qu’elle prononce. Comme elle Patricia qui est aussi une commerçante a décidé de venir apprendre à lire et à parle correctement le français à la suite de nombreuses bourdes lexicales qui lui ont valu des moqueries inoubliable. « J’étais souvent ridicule quand je parlais avec des amies : je faisais trop de fautes. Un jour lors d’une discussion très sérieuse je me suis amusez à dire ‘’mettre de l’eau dans son verre’’ au lien de ‘’mettre de l’eau dans son vin’’ ! Chaque fois que quelqu’un prononçait cet expression je n’attendais que ‘’mettre de l’eau dans son verre’’.  Une camarade qui avait fait l’école s’est terriblement moquée de moi. La nuit dans le secret de ma chambre je me suis jurée que plus personne ne se moquerait de moi à cause de mon niveau de langue ». Patricia retrouve le centre d’alphabétisation avec la rage d’apprendre et cette ambition de combler son retard l’encourage à apprendre plus vite. Pour Akissi Pauline l’obscurité dans laquelle elle vivait devenait insupportable. Elle évitait même de parler en public de peur d’être ridicule. « J’avais peur de parler aux gens car chaque fois que faisais une faute autour de moi il n’y avait que des rires ! En Côte d’Ivoire quand vous faites une erreur en parlant votre entourage se moque de vous pendant plusieurs jours. Même quand un homme m’aimait je le fuyais ou je me montrais désagréable envers lui pour ne pas qu’il se rende compte que je suis une analphabète ! Tout ça c’est du passé » nous dit fièrement Pauline avant de conclure « celles qui hier se moquaient de moi sont admiratifs devant mes progrès et je n’ai plus honte ».

Apprendre ça change la vie !

Dans un centre d’alphabétisation les méthodes utilisées pour l’apprentissage à la lecture et à l’écriture sont différentes de celles du cursus classiques. Il s’agit essentiellement de symboles bien adaptés aux réalités Ivoiriennes. Il y a au total neuf (9) symboles propres aux centres d’alphabétisation et c’est Madame Koffi le chef d’antenne de la coordination d’alphabétisation de Yopougon 1 qui nous fait découvrir l’univers de ces symboles. « Nous avons le pilon débout [ǀ], le pilon penché à droite [/], le pilon penché à gauche [\], le pilon couché [_], les citrons [O], la calebasse ouverte à droite [Ɔ], la calebasse ouverte à gauche [C], la calebasse posée [U] et la calebasse renversée [∩] ». Il y a de véritables avantages à savoir lire et écrire. Quelque soit l’âge, les moniteurs des centres d’alphabétisation ne cessent d’inviter les Ivoiriens à apprendre pour sortir de l’obscurité. Ne pas savoir lire et écrire c’est comme si vous étiez dans le monde mais à l’écart de ce monde : tout est symboles et signes étranges sur des façades, des bouts de papier et dans des gros livres qui n’ont pas de sens. Dodo Mélanie est une autre coordinatrice en alphabétisation et c’est elle qui nous montre de quelle manière les apprenantes des centres arrivent à changer radicalement dans leur vie une fois qu’elles savent lire et écrire. « Lorsque les apprenants arrivent au début de la campagne d’alphabétisation* ils ne savent même pas former une seule lettre mais à la fin c’est un miracle ! Ils savent lire et écrire mais au-delà leurs activités génératrices de revenus changent radicalement au plan organisationnel. Les commerçantes savent désormais faire la différence entre le capital et le bénéfice. Ceux qu’on devaient accompagner partout deviennent autonomes et plus respectés ».

« Il n’y pas de honte à apprendre quelque soit son âge » voici le message que les apprenantes du centre d’alphabétisation m’ont laissé et qu’elles laissent à toutes les personnes qui hésitent à retourner sur les bancs d’une salle de classe !

SUY Kahofi

*la campagne d’alphabétisation est l’équivalent de l’année scolaire

 

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